Quelle est la genèse de ce film ?
Vincent Perez (réalisateur et comédien) : J’ai toujours rêvé de faire un film où l’on mettrait au centre le combat, presque de faire un film d’arts martiaux à l’européenne. J’avais fait des recherches il y a longtemps mais à cette époque je n’étais pas encore réalisateur. Et je n’avais pas trouvé la période, comment et quoi raconter. Le temps a passé… Puis est arrivé le tournage de J’accuse. Jean Dujardin avait un duel dans ce film. Il m’a dit : « Vincent, toi qui a joué dans La Reine Margot, Fanfan la tulipe, Le Bossu… etc.. Tu devrais réaliser un film sur le duel ! » Cela a été un déclic. J’ai trouvé une porte d’entrée qui m’a fait tout de suite livré les clés de cette période : le livre L’art du duel, écrit par Adolphe Tavernier, un escrimeur et écrivain français, fondateur de la revue L’Escrime en 1881. Cela a été un véritable sésame. Dans ce manuel, il y a tout le protocole pour préparer un duel, l’entraînement physique, le choix du terrain, le combat à l’épée, au fleuret, au sabre, au pistolet… Avec cette figure mythique du maître d’arme qui était un peu le Marvel de l’époque, le héros admiré par tous, et qui déchaînait l’admiration.
Entre 1881 et 1889, il y a eu une véritable rage du duel en France. Un phénomène accentué par la libération de la presse au même moment qui, à partir de 1881, a pu sortir des articles et mener des enquêtes sans passer par la case censure de l’époque. Des liens étroits se sont noués entre la presse et les salles d’armes qui se situaient souvent dans les rédactions, comme au Petit Journal que l’on voit dans le film. Avec Karine, ma coscénariste, nous avons commencé à imaginer une histoire autour de ce phénomène. De nombreux jeunes se battaient à l’époque. Le neveu du maître d’arme, interprété par Noham Edje, est alors devenu un personnage central du film, le déclencheur de l’histoire.
La gageure du film repose sur les combats totalement époustouflants.
Vincent Perez : Nous avons beaucoup travaillé. On a mis en place un protocole de répétition, d’entraînement pour les cascadeurs, les acteurs. Tous les combats étaient écrits dans le scénario. Il fallait que les comédiens se préparent, s’accaparent ces chorégraphies. Noham, notamment, s’est emparé naturellement de l’escrime, il s’est montré l’un des plus doués.
Ensuite, il fallait trouver comment filmer ces combats. Comme je me suis beaucoup intéressé à la danse et que je l’ai beaucoup filmée, cela m’a servi pour retrouver les sensations des combattants d’un duel. Souvent à ma frustration, dans certains de mes précédents films, les duels n’étaient pas au centre du récit. On n’y rentrait pas à 100%. Là, je voulais vraiment que le spectateur vive le combat de l’intérieur, comme s’il y était. On a des réactions très fortes dans la salle : des gens qui crient, des gens qui réagissent et sont bouleversés, pris par les tripes. Il y a un côté cathartique. Cela fait presque du bien une fois que le film est terminé, comme s’il incarnait certains de nos combats intérieurs. C’est du cinéma aussi bien divertissant que thérapeutique, qui oui étrangement fait du bien. Après chaque spectateur le vit à sa manière.
Noham Edje (comédien) : Ce qui était un peu compliqué pour moi, c’était d’arriver sur un aussi gros film avec des acteurs majeurs comme Roschdy Zem, Doria Tillier, Guillaume Gallienne ou Damien Bonnard. Et de lancer un peu l’histoire. C’est moi qui ai le premier combat, important pour la suite film. Je devais réussir ce challenge. En plus, je me bats contre Vincent qui a une grande expérience dans ce domaine. J’avais un peu cette pression-là de me dire : « Ok, tu dois faire les choses bien ». Ce qui m’a aidé c’est que j’ai déjà pratiqué des arts martiaux. Et je me suis préparé psychologiquement en comparant le film à un combat. Je l’ai vécu comme ça, comme si je rentrais sur un ring de boxe et que je devais mes preuves dans un film avec des grosses figures françaises et des gens ayant déjà de l’expérience dans des films de combat. Finalement, cette pression que je me suis mis à moi-même m’a beaucoup aidé, elle m’a porté.
Le casting est impeccable. Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
Vincent Perez : Pour le maître d’arme, je ne voyais pas d’autre acteur que Roschdy Zem pour incarner un personnage avec un tel charisme, qui porte en lui le poids de son passé, de la guerre, d’avoir vu des morts… Il fallait qu’on y croie. Et avec Roschdy, on y croit. Dès le tout premier plan du film, tout est déjà raconté dans son regard. Sans même un seul mot, et c’est précieux. Je savais que sans lui je n’aurais pas forcément un acteur avec tous ces éléments-là.
Doria, c’est pareil je ne voyais qu’elle. Ce n’était pas forcément évident sur le papier. Elle n’a jamais fait de film d’époque. C’est la première fois qu’on la voit en costume. Mais pour moi, il n’y avait qu’elle. Quand on écrivait le script avec Karine, on parlait tout le temps et dans l’écriture Doria était déjà là. C’est difficile à expliquer, ce sont des ingrédients, des sensations dans l’écriture qui font que tout à coup cela fait sens.
Noham, on l’a vu avec Karine dans le film Les Amandiers. Il a fait un casting, il s’est battu.
Karine Silla (coscénariste, dialoguiste) : Noham n’était pas content de son premier casting. Il s’était mis tellement de pression. On s’était connu pour un documentaire que j’ai réalisé sur Les Amandiers, je lui ai conseillé de rappeler le directeur de casting et de repasser les essais.
Noham Edje : Le combat a commencé avant même le film. Pour avoir ce rôle-là, j’ai dû me battre. Généralement, pour un acteur ce n’est pas simple de rappeler un directeur de casting, on a quand même un égo un peu trop présent parfois. Le fait de mettre de l’eau dans son vin, de revenir pour faire quelque chose de mieux ça peut être compliqué. Grâce aux conseils de Karine, j’ai pu montrer ce que je valais.
Vincent Perez : Il y a eu comme une évidence. Quand on a vu Noham, on a vu Adrien. La question ne se posait même plus.