Au départ, c’est l’histoire rocambolesque d’un tableau entré dans les collections du musée des beaux-arts d’Orléans, relégué pendant plus d’un siècle au rang de copie, par opposition avec le tableau du musée du Louvre provenant des collections de Louis XIV. Fasciné par la beauté de ce David tenant la tête de Goliath, Olivia Voisin et ses équipes le sortent des réserves pour le raccrocher à l’étage du 17e siècle, l’admirent, l’étudient et le font restaurer. Bien leur en prend car il ne s’agit nullement d’une copie mais bien d’un original. Le chef d’œuvre d’Orléans fait son entrée dans le corpus du peintre baroque Guido Reni, comme l’une des principales redécouvertes des dernières décennies.
Une exposition comme une enquête
L’exposition « Dans l’atelier de Guido Reni », présentée jusqu’au 30 mars 2025, découle de cette découverte incroyable. Son objectif : « replacer ce tableau dans le contexte de l’époque, comprendre l’atelier du peintre baroque, une ruche de plus de 200 collaborateurs, qui répondait à toutes les commandes, explique Olivia Voisin. Les coulisses, le moment frénétique où l’on découvre une œuvre sont la partie la plus passionnante de notre métier. Nous avions envie de les partager avec le public, de titiller leur curiosité et de montrer que la recherche n’est pas réservée à un cercle restreint. On peut continuer à faire aimer les musées de différentes manières. ». Une émulation collective dans un lieu de curiosité permanente !
La scénographie, sublime et foisonnante, reproduit la richesse et la complexité de l’atelier du peintre emblématique de l’art italien, réunissant dans une même pièce - souvent pour la première fois - plusieurs tableaux étudiés sous un jour nouveau. L’exposition, telle une enquête ou un jeu géant, dévoile le processus créatif de l’artiste qui travaillait régulièrement sur plusieurs toiles à la fois, reproduisait des mêmes compositions en série ou faisait refaire des tableaux par ses collaborateurs qu’ils pouvaient parfois retoucher voire recouvrir. Un puzzle artistique sur lequel de nombreux spécialistes se sont cassés les dents au fil des siècles. « C’est la force de cette exposition, montrer cette notion de collaboration, de circulation, à l’intérieur même de l’atelier de l’artiste, souligne son commissaire Corentin Dury, lui qui a travaillé sur ce sujet vertigineux pendant de nombreuses années.
Un génie reproduit à l’infini
La première partie donne à comprendre la personnalité de l’artiste, ses années de formation, ses collaborations, les nuances et les conflits qui ont traversé son œuvre fleuve. Peintre « super-star » de l’époque, au caractère parfois sulfureux et colérique, Guido Reni fut très vite célèbre, avec ses Cléopâtre, Lucrèce ou Europe, achetées par tous les rois et reines de l’époque.
Certaines de ses images religieuses, comme Le Christ des Capucins ou le Saint-François de Pallione, deviennent de véritables icônes et seront reproduits à l’infini, souvent en ayant oublié le nom du peintre. Des tableaux merveilleux parsèment le parcours, comme L’enlèvement d’Europe, somptueux, ou encore plusieurs Sainte Marie Madeleine, traitées dans des formes variées, l’une d’entre elle étant un cas unique qui n’a pas été reproduit, n’a donné lieu à aucune réplique dans l’atelier.
Dans la seconde partie de l’exposition, le motif du David est étudié avec la réunion de plusieurs tableaux de ce sujet peints par Reni et ses collaborateurs. L’exploration des différents types de David est fascinante et la découverte de la version du musée des beaux-arts d’Orléans, bouleversante. Que de temps perdu. Comment imaginer qu’une telle beauté ait pu être dissimulée pendant tant de siècles ? Saisissant, remarquable avec ses jeux de lumière, la délicatesse de son drapé, ce David tenant la tête de Goliath imprime les rétines. « Il faut parler aux tableaux et les regarder », résume Corentin Dury. Une vision moderne apportant un vent de renouveau à l’histoire de l’art.
E.Cuchet