Une introspection universelle, une mémoire collective intime. L’exposition de Malik Nejmi présentée à la Collégiale St-Pierre-le-Puellier est à la fois un retour aux sources et la projection d’une ville nouvelle - presque rêvée - des années 70 dont le projet initial semble ne jamais avoir totalement abouti. Une parenthèse artistique, au cœur de l’hiver, pour soigner les âmes et réparer les vivants.
Le dédale de la mémoire
« Le projet démarre en 2021 lorsque je suis alerté que la T17 va tomber, raconte l’artiste. Etant né dans le quartier La Source, cela me touche énormément. Je m’inquiète pour la mémoire, ce qui pourrait disparaître. » Malik Nejmi démarre alors un travail de recherche en lien avec la Drac, la Mairie d’Orléans et la Maison de l’architecture. « A côté de cela, mon travail artistique et personnel est très lié à l’autobiographie, à la question de l’immigration, de la reconstruction de soi. Mon histoire est celle d’un père qui est venu ici du Maroc dans les années 70 qui ne transmet pas son histoire et qui ne veut pas y revenir, et d’un fils d’immigré qui veut reconnecter avec son pays d’origine mais qui se construit depuis le quartier de La Source. Naît dans mon esprit cette idée de ce que j’ai appelé l’appartement témoin, une espèce d’obsession. » Le photographe chemine dès lors sur deux itinéraires : celui de la mémoire collective en partant de « cette tour qui va tomber », et celle plus intime et personnelle qui lui permettra, notamment, de créer une pièce où il pourra reconstituer l’appartement de ses parents lorsqu’il était enfant.
Au départ, rien n’est simple, tout se bouscule pour le petit Malik de 8 ans, la tête emplie de souvenirs, qui se retrouve projeté dans le corps d’un homme de cinquante ans : « Ce n’est pas parce qu’on a vécu dans un quartier qu’on en a les clés. Je n’étais pas venu depuis longtemps et là il s’agissait de poser un regard personnel et artistique sur les choses. » C’est finalement une visite sur le toit-terrasse de la T17 avec un sociologue, les bailleurs sociaux et des habitants qui débloque les choses. « C’est une libération ! » Ce point-haut qui lui donne de la hauteur, une vue inédite sur le quartier lui donne des idées : « Je pense à une architecture de réparation. Je vais opérer comme dans un théâtre en plein air et rencontrer des protagonistes. »
Un puzzle artistique
Malik enquête alors auprès notamment des archives du patrimoine à Paris pour comprendre l’histoire du quartier La Source, imaginé dans les années 60. « Mon corps ressentait une sorte de vide comme s’il me manquait quelque chose », se remémore-t-il. Un lieu pour se rencontrer, un point de convergence… Il fait alors la découverte d’un immense plan datant des prémices du quartier, à l’époque de Roger Secrétain. A côté de la future T17, il est fait mention d’un musée. « Un musée-fantôme qui finalement ne verra jamais le jour et qui me donne l’idée de faire une recherche parallèle sur l’histoire potentielle. » Et si ce musée, sorte de bâtiment carré en spirale et labyrinthique, était bien sorti de terre ? que ce serait-il passé dans le quartier ? Pour les habitants ?
En parallèle, il y a aussi la rencontre déterminante avec une habitante de la tour, Madame Dia. Son rêve : que l’on écrive un livre sur sa vie : « La fabuleuse histoire de Madame Dia ». Malik n’est pas écrivain, il peint des images avec ses portraits, il raconte des histoires en parlant pendant des heures et nouant des relations avec les autres. Un autre fil d’Ariane à dérouler pour l’artiste qui découvre une femme qui veut « soigner » le quartier et qui, elle aussi, voit son appartement reconstitué dans l’exposition avec sa table, ses chaises, ses livres, ses robes…
Un musée-monde
Après trois ans de recherches et de rencontres, l’exposition - labyrinthe d’idées et de fragments de mémoire - prend ainsi la forme d’une rétrospective mêlant des photographies, des installations, des plans d’architectures, une maquette, des portraits et des objets, des vestiges, où la petite histoire se mêle à la grande, où l'itinéraire thérapeutique de l’artiste rejoint l'événement de la destruction de la Tour 17.
Un moment hors du temps aussi prenant que poignant, entre ici et là-bas, ce qui a été et ce qui aurait pu être. Dans ce miroir du tendre, Malik Nejmi nous touche, nous émeut, nous emporte entre sentiments et des souvenirs.
E.Cuchet
Ter-Ter {Soigner le quartier}
Ter-ter est un terme argotique français des banlieues qui sert à désigner sa zone de résidence, son immeuble, sa rue, son quartier.
Collégiale Saint-Pierre-le-Puellier
13 Cloître Saint-Pierre-le-Puellier
45000 Orléans
Ouverture du mardi au dimanche de 14h à 18h, fermeture les lundis et jours fériés - Entrée libre
Les 24 et 31 décembre 2024 : fermeture de la Collégiale à 17 heures
Exposition présentée jusqu’au dimanche 2 février 2025
Commissariat : Louise Bras et Malik Nejmi
L’exposition TER-TER {Soigner le quartier} présentée à la Collégiale Saint-Pierre-le-Puellier, nous invite à décentrer notre regard sur Orléans La Source et y envisager une histoire potentielle au prisme des archives, des mondes sociaux et de l’épreuve du retour de l’artiste dans son quartier d’enfance.
Des visites-performances de l’exposition sont proposées par Louise Bras, co-commissaire de l’exposition, à 15h30, les samedis 7 décembre et 18 janvier, et le dimanche 02 février. Durée : environ 1h10 – sans réservation.